Numérique. Où sont les femmes ?
Selon la fondation Femmes@numérique, en France, à peine 33 % des emplois du numérique sont occupés par des femmes. Seules 15 % des femmes du numériques exercent des fonctions techniques dans la production ou l’exploitation de projets informatiques. Peu sont développeuses. La majorité (75 %) travaille dans les fonctions supports : RH, marketing, administration, communication…
En 30 ans, la situation hexagonale s’est dégradée : le nombre de femmes ingénieures en informatique est passé d’un tiers des effectifs à 15 %. Pourquoi et comment en est-on arrivé là ?
Selon Cécile Favre, chercheuse à l’université Lyon-II sur l’informatique et le genre, les stéréotypes masculins associés au geek et véhiculées par la société, les familles et l’école seraient en cause. Si le phénomène de recul des femmes dans le numérique s’observe en Europe et aux États-Unis, ce n’est pas le cas au Maroc et en Asie par exemple. En effet, indique Aude Barral, cofondatrice de CodinGame, start-up de recrutement de développeurs par le jeu vidéo, « le code [y] est perçu comme un vecteur d’émancipation ».
La faible proportion de femmes dans le numérique a des répercussions directes sur l’ambiance au travail et l’attractivité des postes. La chercheuse Isabelle Collet, informaticienne et spécialiste des discriminations des femmes dans les sciences à l’université de Genève précise que « le sexisme chez les geek n’est pas plus brutal qu’ailleurs, et l’ambiance pas plus avilissante qu’en faculté de médecine, mais l’effet nombre est bien réel ». Aussi, nombreuses sont celles qui bifurquent, « souvent 15 ans après leur embauche », vers les ressources humaines ou la communication, constate Thierry Benoît, sociologue et auteur de l’ouvrage « Vies de femmes, vies précaires ».
Pourtant, l’arrivée massive de l’intelligence artificielle rend cruciale la diversité des travailleurs du numérique pour éviter la construction de systèmes discriminants. Selon Thierry Benoît, l’IA risquerait aussi d’accélérer la précarisation des femmes du numérique car « cette technologie va créer des emplois de haute qualification, aujourd’hui essentiellement occupés par des hommes ».
De nombreuses initiatives (tutorat, bourse, sensibilisation des étudiantes, groupes de femmes…) se sont multipliées pour susciter des vocations numériques féminines. Et cette démarche est « nécessaire » selon Isabelle Collet puisque « dans les entreprises, beaucoup de promotions se décident en dehors des heures de travail, en partageant une bière, en jouant au foot… Les réseaux féminins viennent pallier tous ces endroits où les femmes n’ont pas accès à l’information ». Les cheffes d’entreprises du secteur s’organisent également via Femmes Business Angels ou le réseau #Sista pour contrebalancer les moindres investissements financiers dans les start-up portées par des femmes.
D’autres initiatives telles que la Grande école du numérique visent à faire entrer les femme dans le secteur. Mais, comme l’admet Salwa Toko, présidente du Conseil national du numérique (CNNum), un travail de fond s’impose pour déconstruire les stéréotypes et ce, dès le collège. La création, annoncée l’an prochain, d’un capes informatique et de cours de « numérique et sciences informatiques » en terminale inversera peut être la tendance si, prévient Cécile Favre, la pédagogie utilisée est « inclusive et [si la] discipline [n’est pas] majoritairement enseignée par des hommes qui reproduiraient des stéréotypes de genre ».