Santé mentale et précarité psychique des jeunes adultes en insertion

Rencontre avec Edwige Picard, psychologue clinicienne en consultation jeunes consommateurs en Mission locale et Maison des adolescents, thérapeute familiale systémicienne et doctorante en psychologie, UR CLIPSYD, UPN. Elle mène une recherche sur les effets du Service militaire adapté sur la construction identitaire du jeune adulte. Elle aborde la santé sous l’angle de la précarité et l’insertion.

Un rendez-vous dans la continuité des Sessions lab

Le 13 mars 2023, se tenait une rencontre autour du thème de la santé mentale en lien avec l’insertion des jeunes adultes. Des professionnels de l’accompagnement, lauréats d’appels à projets d’insertion, ont pu poser leurs questions à Edwige Picard. Lors de ce temps, elle a abordé la santé mentale sous l’angle de la précarité et l’insertion. Après environ une heure de présentation théorique et des fondamentaux, les participants ont pris la parole pour partager leurs expériences et échanger.

Des notions clés et des conseils pour l’accompagnement des jeunes

Edwige Picard fait le point sur les notions essentielles et propose des conseils à l’attention des professionnels de l’accompagnement.

 

Quel est le lien entre santé et insertion ?

 

La santé et l’insertion sont des champs d’interventions complémentaires et interconnectés. Les personnes qui interviennent dans ces champs ont un intérêt à collaborer et mieux se connaitre. L’insertion favorise une meilleure estime de soi, une sécurité matérielle, dont l’accès aux soins et une sécurité relationnelle. L’identité professionnelle participe à l’identité d’un individu, à son autonomie et donc à son bien-être.

La santé est indispensable à l’insertion. La santé physique, mais aussi psychique. Cette dernière est sous-évaluée dans le champ de l’insertion et, trop souvent, les pratiques professionnelles sont cloisonnées. Dans une démarche d’insertion, évaluer la santé physique et psychique, mieux connaitre les types de souffrances psychiques, favorisera la levée des freins. Les souffrances psychiques, les comportements addictifs peuvent empêcher une insertion durable et accélèrent l’isolement social. Cela accentue à son tour la précarité, chez des personnes en difficulté. Les problèmes d’insertion amènent également souvent des problèmes de santé. La santé et l’insertion sont en effet interconnectées.

 

Quelles différences y a-t-il entre précarité et vulnérabilité ?

 

Les deux termes sont assez proches et parfois confondus. En les distinguant, il est possible de restaurer la part subjective des individus. La vulnérabilité s’inscrit dans le contexte contemporain. Elle peut être temporaire, ne concerner que certains domaines et demeure propre à chaque individu. Un intervenant peut projeter de la vulnérabilité chez un individu qui ne le vivra pas comme tel. En revanche, plus les difficultés s’accumulent, plus le sentiment de vulnérabilité risque d’augmenter. Des conditions d’insertion favorables n’empêchent donc pas un sentiment de vulnérabilité.

 

La précarité concernait au départ l’emploi, même si elle ne s’y réduit pas. L’emploi demeure un pivot, mais la précarité renvoie à une double insécurité : matérielle, dont la santé fait partie, et la précarité relationnelle. Cette dernière participe tout autant à notre équilibre psychique, qu’à notre santé mentale. Ce lien à l’autre est l’évolution, de notre premier lien d’attachement, à ceux qui nous ont sécurisés, quand nous venons au monde. Ce lien d’attachement est indispensable à la survie psychique et physique de l’individu. Plus tard, quand un individu accumule les difficultés, il peut rentrer dans un cercle de précarités qui peut aboutir à ce que Furtos nomme « le syndrome d’auto-exclusion ». Ce syndrome est présenté comme une pathologie de la précarité et consiste en une radicale réduction du fonctionnement psychique.

 

« Dans certaines situations d’exclusion, pour survivre, c’est-à-dire pour tenir debout à sa manière, le sujet humain est capable d’abandonner une partie de sa liberté et de s’auto-aliéner. »

Jean Furtos, De la précarité à l’auto-exclusion, Editions Rue d’Ulm, collection « La rue ? parlons-en ! », 2009, page 25

 

Quels sont vos conseils aux personnes qui accompagnent les démarches d’insertion des jeunes ?

 

Être intervenant auprès des jeunes adultes dans l’insertion, c’est participer à réduire la précarité relationnelle et donc améliorer la santé physique et psychique. Les professionnels sont parfois les seuls adultes, voire les uniques interlocuteurs des jeunes. Ils peuvent s’autoriser à investiguer ce champ tout en conservant la nécessité d’une réorientation vers les partenaires spécialisés. Cela peut prendre du temps dans le contexte parfois difficile d’accès aux soins. Le risque est double : l’intervenant n’aborde pas le sujet ou entretient, non plus des liens d’alliance, mais des liens de complicité, privilégiés. Le jeune adulte peut alors mettre en échec l’orientation vers un soignant et le professionnel glisser vers la codépendance, en passant de l’aide au sauvetage. Cette relation résonne avec le manque d’autonomie du jeune, en voulant pour lui, en faisant à sa place. Il est donc indispensable de se former et de ne pas travailler seul afin de maintenir des relations que nous nommons « conomes », c’est-à-dire des relations d’altérité où chacun conserve une place d’acteur de sa vie. Il s’agit de définir les règles relationnelles avec le jeune afin de favoriser l’autonomie, ne pas attendre de réussite pour ne pas vivre d’échec. Le jeune a des ressources. Les groupes de pairs sont des leviers possibles. Le travail d’équipe, les temps d’analyse de la pratique et les partenaires aideront à redéfinir une relation dans une juste distance et réguler les accompagnements qui s’inscrivent dans la durée pour accompagner vers une insertion épanouie.

 

Nb : La conomie fait référence à l’ouvrage « Addictions et relation de dépendance et de codépendance, guide à l’usage des étudiants et des professionnels. », Mardaga 2021, Picard E, De Courcy, S.

Dans notre société contemporaine, les problématiques addictives, qui sont une pathologie du lien, nous ont offert l’opportunité de réfléchir aux accompagnements des professionnels dans le domaine de l’addiction et au-delà, dans tous les métiers de l’aide. Nous animons une journée en juin avec l’équipe de FORSYFA à Nantes en juin sur le thème de la codépendance et de la conomie.

 

Merci à Edwige Picard

Depuis 2021, la DREETS et le GREF Bretagne proposent des actions d’animation aux lauréats des appels à projets du Plan d’Investissements dans les Compétences (PIC) Repérer et mobiliser les public dits « invisibles », 100 % inclusion, Intégration Professionnelle des Réfugié.es et Prépa-Apprentissage. Ce rendez-vous était proposé dans la continuité des échanges riches et vivants des Sessions lab. Ce sont des rencontres entre acteurs bretons et porteurs de projets lauréats qui impulsent l’interconnaissance et l’entraide grâce à des procédés d’intelligence collective. Ces expérimentations favorisent l’innovation dans les modalités d’accompagnement et des partenariats avec les acteurs déjà en place sur les territoires.

L’atelier du 13 mars était ouvert aux lauréats des quatre appels à projets du PIC et à l’appel à projets Contrat d’Engagement Jeune, jeunes en rupture qui se retrouvent dans une communauté dédiée sur la plateforme La Place.

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